Peenemünde et la guerre totale

Les programmes d’armes nouvelles développés par l’Allemagne nazie dans son centre de recherches de Peenemünde, et en particulier celui de la fusée stratégique A4/V2, sont révélateurs de la guerre totale que fut le second conflit mondial. L’un des plus vieux rêves de l’humanité, voler dans l’espace, vire au cauchemar, avec la réalisation d’engins d’un haut niveau technologique, fabriqués par une main-d’œuvre concentrationnaire et déployés contre des populations civiles dans le cadre d’une campagne militaire à caractère terroriste.

 

Le temps des pionniers et du rêve pacifique

Le roman de Jules Verne, De la Terre à la Lune (1865), a fait renaître le rêve du voyage interplanétaire. À la fin du XIXe siècle et dans le premier quart du XXe, des théoriciens, isolés et sans moyens financiers, fondent une nouvelle science, l’astronautique : il s’agit du Russe Tsiolkovski, du Français Esnault-Pelterie, de l’Américain Goddard et de l’Allemand Oberth.

Tous établissent la possibilité théorique de se déplacer dans l’espace grâce à des fusées à réaction. C’est en Allemagne, au cours des quelques années de prospérité de la République de Weimar, à la fin des années vingt, que les amateurs de fusées sont les plus nombreux et les plus actifs. En s’appuyant sur les nouveaux produits et matériaux nés de la seconde Révolution industrielle (l’aluminium, l’oxygène liquide, etc.), ils s’efforcent, à partir de 1930, de passer à la pratique en expérimentant de petits moteurs-fusées. Parmi ces passionnés, une figure se distingue rapidement, celle de Wernher von Braun (né en 1912), jeune étudiant très doué en mathématiques et en physique. Mais ces groupes d’amateurs, qui ne disposent ni du soutien des universités, ni de celui des grands groupes industriels, sont balayés par la crise économique.

Le temps des militaires et des nazis

Depuis 1929, l’armée allemande – et notamment les artilleurs – s’intéresse aux fusées à longue portée, perçues comme un moyen de contourner les interdictions du traité de Versailles. Les militaires profitent des difficultés des sociétés d’amateurs de fusées pour récupérer leurs membres les plus compétents : von Braun est recruté en 1932. L’arrivée au pouvoir des nazis, en 1933, entraîne le passage au secret des recherches sur les fusées. En outre, les crédits pour le développement d’armes nouvelles gonflent brutalement.

Célèbre groupe allemand d’expérimentateurs de fusées dans les années 1930. À droite, Hermann Oberth, Klaus Riedel et le jeune von Braun. © NASA
Dessin en coupe de la fusée A4 (V2) développée pendant la Seconde Guerre mondiale par le Dr Wernher von Braun et son équipe au centre de recherches de Peenemünde, en Allemagne. © NASA

Le centre de recherches de Peenemünde

En 1936, commencent les travaux, sur l’île d’Üsedom (Baltique), d’un gigantesque centre de recherches ultramoderne : Peenemünde. La Luftwaffe (l’armée de l’Air) y développe des avions à réaction et, à partir de 1942, la bombe volante Fi 103 (V1). La Heer (armée de Terre) se consacre à la mise au point d’une grande fusée stratégique, la A4 (V2). À partir de 1942, alors que le cours de la guerre est en train de s’inverser, la fusée A4 (V2) devient aux yeux des dirigeants nazis une « arme miracle ». Le premier succès d’un tir de prototype survenu le 3 octobre entraine la fabrication en série alors que l’engin est loin d’être au point. La Luftwaffe développe rapidement le V1, beaucoup plus simple et beaucoup moins coûteux à fabriquer que le V2.

Les services de renseignement britanniques ont mis longtemps à comprendre la nature de la menace des armes nouvelles développées au centre de recherches de Peenemünde. Le 18 août 1943, la RAF bombarde massivement le centre de recherches, provoquant le déplacement de la production dans un site souterrain nommé « Dora ».

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